Pour une UQAM laïque

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Sarah B.

#36 Re: J'essaie encore...

2013-12-22 00:49

#35: Francis Dupuis-Déri - J'essaie encore...

Voilà il me semble quelques questions légitimes, qui sont parmi celles dans lesquelles il vaut le plus la peine de mettre la main à la pâte, liées à des applications concrètes. Celles-ci doivent être pensées intelligemment, au cas par cas, au-delà des désaccords politiques et dans le respect des personnes même s'il est impossible de satisfaire tout le monde. Par exemple, la possibilité d'une exemption pour des gens déjà en place dans certaines fonctions n'a-t-elle pas déjà été évoquée? Voilà le genre de négociations qui pourraient utiles pour favoriser et adoucir certaines transitions dans le cas hypothétique d'une application du projet de loi (qui reste amplement à négocier dans ses termes précis, raison de plus pour s'y atteler sans dogmatisme). Néanmoins, l'idéal serait que l'on cesse de démoniser un projet de laïcité plus stricte (à commencer par la classe intellectuelle), vis-à-vis duquel on peut avoir des désaccords sans franchir le point Godwin. Ce projet de laïcité peut être contesté et faire l'objet de critiques ou de réserves dans ses applications, mais c'est un projet politique légitime qui n'a pas de leçons à recevoir du multiculturalisme sur les terrains de la tolérance, du vivre-ensemble, etc.

Concernant les Autochtones, c'est une question profonde et complexe qu'on ne peut résoudre ici. Mais disons pour aller vite que la question de l'accès à l'emploi et autres conditions sociales pour eux remonte à bien longtemps, et que la question (encore une fois hypothétique dans son application) des signes spirituels est d'abord loin d'être une obsession pour l'ensemble des autochtones en plus de venir bien loin derrière d'autres problématiques sociales, économiques et politiques beaucoup plus capitales (et qui ne remontent pas au projet de Charte!). Une "situation" qu'une Charte - à priori - ne résoudrait pas plus qu'elle n'aggraverait. Par ailleurs, comment peut-on déjà présumer que l'ensemble des Autochtones (et autres cultures) seraient incapables de mettre de côté leurs signes religieux ou spirituels dans des emplois de la fonction publique? Rien ne l'indique et je ne crois pas que ce soit l'essentiel, à eux en tout cas de le dire et de l'assumer. Si en revanche on prend en otage les individus en les limitant d'emblée à la communauté culturelle dont ils sont issus, si on ne fait que des incantations pour proclamer que leur identité profonde est inséparable de signes extérieurs matériels, on les enferme plus qu'autre chose. Et on les amène à se sentir exclus d'un projet collectif qui ne demande que leur apport et qui en tout cas ne le rejette absolument pas.

Dans tous les cas, si vous désirez vous mobiliser politiquement ou intellectuellement pour les Autochtones, rien ne vous en empêche et rien ne vous en empêcherait dans un modèle laïc, bien au contraire. Mais ce n'est pas en conspuant la laïcité par la négative que l'on fait quoi que ce soit de tangible, pas plus qu'on ne sert l'avenir en se contentant de faire d'éternelles litanies sur les méfaits du colonialisme historique, dont on peut et doit faire la critique mais qui ne sera jamais l'outil principal pour construire un projet collectif. Son instrumentalisation excessive relève plutôt d'une forme dissimulée d'abdication politique.

Le modèle multicuturel, vous le savez, n'a rien réglé fondamentalement pour la condition des Autochtones. Mais dans son rejet viscéral (et à mon avis suspect) du modèle laïc, il ne cesse de présenter celui-ci sous un angle restrictif, discriminatoire, comme si le sien était une digue véritablement efficace contre les inégalités. Ce n'est pas vrai. Dans le contexte néo-libéral consumériste mondialisé auquel les nations sont aujourd'hui assujetties (et par lequel elles sont dépouillées de leurs projets politiques), rien n'est plus faux. Ce projet multiculturaliste est le meilleur ami des banques et du consumérisme, et il n'a aucun soucis d'équité sociale. Sa fonction première est la suivante : entretenir et maintenir une structure sociale consumériste d'indifférence pacifiée. Ça finit là. Le modèle laïc n'est garant de rien non plus, mais il ouvre au moins la porte à d'autres possibilités du vivre-ensemble qu'une superposition de droits individuels mis en concurrence ; il est parfois présomptueux mais il permet d'envisager une autre transcendance (la littérature par exemple) que la consommation et qu'une vision purement légaliste et gestionnaire des sociétés, il révèle certaines tensions mais il crée aussi du dialogue social, il irrite parfois les particularismes mais il offre aussi la possibilité d'une réflexion collective. Surtout, même s'il n'est absolument pas un empêchement aux injustices, il peut être néanmoins un outil pour contredire le déterminisme culturel, religieux, communautaire, social, dont on écrase ou avec lequel on enchaîne bien des gens. À nous ensuite de produire autre chose...

Quant à la question du voile et des moyens qui pourraient être pris ou mieux appréhendés pour les femmes, je ne dis pas que vous avez complètement tort, mais fondamentalement j'ai un autre point de vue. Je pense qu'il est du rôle de l'État d'envoyer un message symbolique clair que la religion et le prosélytisme religieux lui sont extérieurs. Car derrière la question des signes religieux ostensibles, c'est bien le problème du prosélytisme ou à tout le moins d'une "influence symbolique" du religieux si innocente soit-elle en apparence (et non pas la mise en doute de la compétence de ceux qui les portent, comme on le présume abusivement). Et on parle bien d'un prosélytisme ou d'une influence du signe lui-même, et non pas de l'individu qui l'arbore. Une position claire de l'État à ce sujet est réclamée par beaucoup de Musulmanes ou de femmes issues de la culture musulmane, car cela peut avoir une portée importante dans leur communautés. À tout le moins ça empêche certains extrémistes de se sentir trop à l'aise à exploiter certaines failles ou abuser de certaines largesses systémiques (et ces extrémistes, très minoritaires mais aussi très pro-actfs, existent). Rappelons aussi qu'on parle toujours de fonction publique, donc un champ symboliquement important, certes, mais restreint dans les faits. La liberté de culte, de conscience et de pratique religieuse reste garantie dans l'ensemble des espaces privés ET publics. Surtout, au final, ça n'empêche absolument pas de renforcer d'autres mesures d'aide et de protection pour des femmes qui désireraient s'extirper des structures religieuses dans lesquelles elles ont grandi ou dans lesquelles elles se sentent enfermées, et dont elles aimeraient s'extirper ou s'émanciper.

Réponses

Francis Dupuis-Déri

#37 Je reste confus

2013-12-22 01:47:10

#36: Sarah B. - Re: J'essaie encore...

Je ne suis pas certain de comprendre vos réponses à mes questions.

Votre discussion sur le multiculturalisme «dans le contexte néo-libéral consumériste mondialisé auquel les nations sont aujourd'hui assujetties (et par lequel elles sont dépouillées de leurs projets politiques)» et votre affirmation que «le multiculturaliste est le meilleur ami des banques et du consumérisme, et il n'a aucun soucis d'équité sociale» me laisse perplexe : c'est peut-être tout à fait vrai vrai, ou pas du tout, mais je croyais qu'on parlait d'emplois à l'UQAM et dans la fonction publique (et non dans les banques privées)... Et la laïcité me semble tout à fait compatible avec le «néolibéralisme consumériste» et bien d'utres modèles politiques. Enfin, ce n'est pas là ma préoccupation par rapport à cette pétition et je n'ai pas vraiment l'énergie pour débattre de tout cela ici.

Mais pour revenir à mes trois questions, si j'ai bien compris et je résume vos positions/réponses, donc :

1) Pas d'emplois à l'UQAM pour des femmes musulmanes portant un voile, pour envoyer un message aux «extrimistes» (ce qui, je dois l'avouer, me semble une stratégie politique bien curieuse, puisque les «femmes voilées» sont à la fois identifiées comme des victimes des extrémistes et des personnes à exclure d'emplois pour faire pression sur les extrémistes.... Mais bon, sans doute que je ne comprends pas grand chose au moyen de faire plier les extrémistes et que priver «leurs» femmes [qui auront décrochées par elles mêmes un doctorat, puisqu'il s'agit de postes à l'Université] d'emplois dans la fonction publique va les pousser à la modération, et aider ces mêmes femmes Ph.D. mais interdites d'enseigner dans les universités au Québec... Ce sera un processus tout à fait intéressant à regarder.) ;

2) Pour les Autochtones, je n'ai pas du tout compris votre réponse à ma question que je pensais relativement simple, à savoir s'il faut selon vous les exclure d'emplois de la  fonction publique s'ils/elles refusent de se départir de signes religieux/spirituels. Vous m'expliquez beaucoup de choses au sujet des Autochtones, de leur rapport à la spiritualité, du fait que vous pensez qu'ils/elles ne s'attachent pas tellement aux signes religieux/spirituels, à l'histoire, au colonialisme, à un «projet collectif», mais vous ne répondez pas à la question.

3) Quant à la mise à pied de professeurs Juifs qui enseignent déjà depuis des années, pour avoir lu le projet de loi, je ne crois pas qu'il y a des aménagements possibles pour ces personnes déjà employées, si non une année de négociations et mesures disciplinaires (que le gouvernement demandera aux directions d'établissement d'appliquer), puis après un an, mise à pied si refus de se départir de signes religieux. Donc, les deux collègues juifs mentionnés dans mon commentaire précédent (qui, comme je le pense, refuseraient de se départir de leur kippa) seraient mis à pied : c'est bien ce que vous souhaitez aussi, non, que ces deux professeurs Juifs soient renvoyés de l'Université de Montréal et de l'UQAM s'ils refusent d'y travailler sans kippa (je n'ai pas bien compris votre point de vue à ce sujet) ?