Pour une UQAM laïque

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Francis Dupuis-Déri

#35 J'essaie encore...

2013-12-21 16:23

#34: Sarah B. - Re: Re: Re: On avance, on avance, on ne recule pas !

Si ce n'est pas de «l'inquiétude (ou la peur ? ou la méfiance ? ou la haine ?)» (comme je l'ai laissé entendre) qui est resentie envers «ces 'femmes voilées'» du côté de celles et ceux qui appuient un projet de loi qui stipule qu'il faut leur interdire les emplois dans la fonctions publiques (et à l'UQAM), mais plutôt le désir de les émanciper (c'est bien cela ?) parce que vous savez que le voile représente de l'indignité et de la violence symbolique et physique (c'est bien cela?), alors je ne comprends toujours pas comment vous les aidez en leur interdisant un emploi (ou en exigeant qu'elles l'enlèvent si elles veulent y travailler) ?

Il me semble qu'il faudrait plutôt sévir contre ceux qui les violentent, non ?

Et si, hypothèse plausible, ces femmes ne veulent pas enlever leur voile pour obtenir un emploi à l'UQAM, en quoi cette loi les aide à lutter contre l'indignité et la violence symbolique et physique dont le voile est le symptôme ?

Il me semble qu'il faudrait plutôt sévir contre ceux qui les violentent, non ?

Et enfin, comme je l'ai mentionné plus tôt, rassurez vous : il semble qu'il y a plusieurs dizaines de collègues à l'UQAM (signataires de cette pétition) qui ne veulent tout simplement pas (pour de bonnes ou mauvaises raisons, à vous de voir) de femmes voilées comme collègues. On peut donc en déduire que ces personnes qui appuient le projet de Charte n'ont pas voté (si la situation s'est produite dans leur département) ni ne voteraient pour une candidate à un poste qui porterait un voile religieux. Cela réduit donc d'autant, loi ou pas, la probabilité qu'il y ait des femmes portant un voile religieux à l'UQAM.

D'ailleurs, l'UQAM compte combien de femmes professeures qui portent un voile religieux : on ne m'a jamais donné la réponse. Et est-ce que la Loi obligera à ne pas en embaucher à la cafétérariat de l'UQAM, dans les secrétariats, à la bibliothèque et comme concierges (entre autres) des femmes qui désirent porter le voile ? Est-ce cela auss par solidarité avec ces femmes ?

Quant aux quelques collègues Juifs qui portent le kippa, j'ai comme l'impression (mais ce n'est qu'une impression) qu'ils ne vont pas accepter de l'enlever suite à l'adoption de la Loi. Je pense au professeur d'histoire à l'Université de Montréal Yakov Rabkin (un antisioniste radical et pour des raisons entre autres religieuses, si j'ai bien compris ses positions), et à mon collègue Julien Bauer (un sioniste entêté, si j'ai bien compris ses positions), en science politique à l'UQAM. Julien est, à ma connaissance, le seul collègue de l'UQAM a porter un signe ostentatoire religieux, mais peut-être qu'il y en a d'autres — j'attends d'ailleurs cette information avec intérêt. Je serai aussi bien curieux de savoir combien d'étudiants et d'étudiantes ces deux professeurs sont parvenus à convertir au judaïsme depuis qu'ils enseignent. Enfin, s'ils refusent d'abandonner la kippa pour venir travailler (ce qui est plausible), ils devraient donc être mis à pied après une année de vaines mesures disciplinaires (si j'ai bien lu le projet de loi). Outre les principes fondamentaux et les autres enjeux liés à cette proposition de Charte, j'ai vraiment hâte de lire dans les journaux : «L'UQAM renvoie un professeur juif.» Cela sera du plus bel effet ! Mais vous me direz avec raison qu'il s'agit là d'un détail et j'ai d'ailleurs un grand respect pour celles et ceux qui ont le courage de leurs convictions et ne se laissent pas démonter par le risque d'une mauvaise couverture médiatique, qui serait sans doute motivée par la mauvaise foi. Parce qu'après tout, si ces deux collègues qui enseignent depuis des dizaines d'années à l'Université refusent maintenant de se débarasser de leur kippa au travail, ils seraient bien les seuls et uniques responsables de leur mise à pied, n'est-ce pas ?

Quant aux Autochtones, je les instrumentalise peut-être (contrairement à vous, si j'ai bien compris), mais vous n'en dites pas grand chose : la loi pourtant interdira l'embauche de toute personne affichant des signes religieux ostentatoires et les Autochtones ont aussi leurs signes religieux/spirituels (en plus, éventuellement, d'autres signes associés aux religions des puissances colonisatrices qui ont imposé leurs croyances religieuses aux Premières nations). Donc, vous êtes favorable à ce que les Autochtones qui refusent de s'en défaire pour travailler n'aient pas d'emploi ni dans la fonction publique, ni à l'UQAM. C'est bien cela, non ? Personne ne m'a encore répondu à ce sujet.

 

 

Réponses

Sarah B.

#36 Re: J'essaie encore...

2013-12-22 00:49:17

#35: Francis Dupuis-Déri - J'essaie encore...

Voilà il me semble quelques questions légitimes, qui sont parmi celles dans lesquelles il vaut le plus la peine de mettre la main à la pâte, liées à des applications concrètes. Celles-ci doivent être pensées intelligemment, au cas par cas, au-delà des désaccords politiques et dans le respect des personnes même s'il est impossible de satisfaire tout le monde. Par exemple, la possibilité d'une exemption pour des gens déjà en place dans certaines fonctions n'a-t-elle pas déjà été évoquée? Voilà le genre de négociations qui pourraient utiles pour favoriser et adoucir certaines transitions dans le cas hypothétique d'une application du projet de loi (qui reste amplement à négocier dans ses termes précis, raison de plus pour s'y atteler sans dogmatisme). Néanmoins, l'idéal serait que l'on cesse de démoniser un projet de laïcité plus stricte (à commencer par la classe intellectuelle), vis-à-vis duquel on peut avoir des désaccords sans franchir le point Godwin. Ce projet de laïcité peut être contesté et faire l'objet de critiques ou de réserves dans ses applications, mais c'est un projet politique légitime qui n'a pas de leçons à recevoir du multiculturalisme sur les terrains de la tolérance, du vivre-ensemble, etc.

Concernant les Autochtones, c'est une question profonde et complexe qu'on ne peut résoudre ici. Mais disons pour aller vite que la question de l'accès à l'emploi et autres conditions sociales pour eux remonte à bien longtemps, et que la question (encore une fois hypothétique dans son application) des signes spirituels est d'abord loin d'être une obsession pour l'ensemble des autochtones en plus de venir bien loin derrière d'autres problématiques sociales, économiques et politiques beaucoup plus capitales (et qui ne remontent pas au projet de Charte!). Une "situation" qu'une Charte - à priori - ne résoudrait pas plus qu'elle n'aggraverait. Par ailleurs, comment peut-on déjà présumer que l'ensemble des Autochtones (et autres cultures) seraient incapables de mettre de côté leurs signes religieux ou spirituels dans des emplois de la fonction publique? Rien ne l'indique et je ne crois pas que ce soit l'essentiel, à eux en tout cas de le dire et de l'assumer. Si en revanche on prend en otage les individus en les limitant d'emblée à la communauté culturelle dont ils sont issus, si on ne fait que des incantations pour proclamer que leur identité profonde est inséparable de signes extérieurs matériels, on les enferme plus qu'autre chose. Et on les amène à se sentir exclus d'un projet collectif qui ne demande que leur apport et qui en tout cas ne le rejette absolument pas.

Dans tous les cas, si vous désirez vous mobiliser politiquement ou intellectuellement pour les Autochtones, rien ne vous en empêche et rien ne vous en empêcherait dans un modèle laïc, bien au contraire. Mais ce n'est pas en conspuant la laïcité par la négative que l'on fait quoi que ce soit de tangible, pas plus qu'on ne sert l'avenir en se contentant de faire d'éternelles litanies sur les méfaits du colonialisme historique, dont on peut et doit faire la critique mais qui ne sera jamais l'outil principal pour construire un projet collectif. Son instrumentalisation excessive relève plutôt d'une forme dissimulée d'abdication politique.

Le modèle multicuturel, vous le savez, n'a rien réglé fondamentalement pour la condition des Autochtones. Mais dans son rejet viscéral (et à mon avis suspect) du modèle laïc, il ne cesse de présenter celui-ci sous un angle restrictif, discriminatoire, comme si le sien était une digue véritablement efficace contre les inégalités. Ce n'est pas vrai. Dans le contexte néo-libéral consumériste mondialisé auquel les nations sont aujourd'hui assujetties (et par lequel elles sont dépouillées de leurs projets politiques), rien n'est plus faux. Ce projet multiculturaliste est le meilleur ami des banques et du consumérisme, et il n'a aucun soucis d'équité sociale. Sa fonction première est la suivante : entretenir et maintenir une structure sociale consumériste d'indifférence pacifiée. Ça finit là. Le modèle laïc n'est garant de rien non plus, mais il ouvre au moins la porte à d'autres possibilités du vivre-ensemble qu'une superposition de droits individuels mis en concurrence ; il est parfois présomptueux mais il permet d'envisager une autre transcendance (la littérature par exemple) que la consommation et qu'une vision purement légaliste et gestionnaire des sociétés, il révèle certaines tensions mais il crée aussi du dialogue social, il irrite parfois les particularismes mais il offre aussi la possibilité d'une réflexion collective. Surtout, même s'il n'est absolument pas un empêchement aux injustices, il peut être néanmoins un outil pour contredire le déterminisme culturel, religieux, communautaire, social, dont on écrase ou avec lequel on enchaîne bien des gens. À nous ensuite de produire autre chose...

Quant à la question du voile et des moyens qui pourraient être pris ou mieux appréhendés pour les femmes, je ne dis pas que vous avez complètement tort, mais fondamentalement j'ai un autre point de vue. Je pense qu'il est du rôle de l'État d'envoyer un message symbolique clair que la religion et le prosélytisme religieux lui sont extérieurs. Car derrière la question des signes religieux ostensibles, c'est bien le problème du prosélytisme ou à tout le moins d'une "influence symbolique" du religieux si innocente soit-elle en apparence (et non pas la mise en doute de la compétence de ceux qui les portent, comme on le présume abusivement). Et on parle bien d'un prosélytisme ou d'une influence du signe lui-même, et non pas de l'individu qui l'arbore. Une position claire de l'État à ce sujet est réclamée par beaucoup de Musulmanes ou de femmes issues de la culture musulmane, car cela peut avoir une portée importante dans leur communautés. À tout le moins ça empêche certains extrémistes de se sentir trop à l'aise à exploiter certaines failles ou abuser de certaines largesses systémiques (et ces extrémistes, très minoritaires mais aussi très pro-actfs, existent). Rappelons aussi qu'on parle toujours de fonction publique, donc un champ symboliquement important, certes, mais restreint dans les faits. La liberté de culte, de conscience et de pratique religieuse reste garantie dans l'ensemble des espaces privés ET publics. Surtout, au final, ça n'empêche absolument pas de renforcer d'autres mesures d'aide et de protection pour des femmes qui désireraient s'extirper des structures religieuses dans lesquelles elles ont grandi ou dans lesquelles elles se sentent enfermées, et dont elles aimeraient s'extirper ou s'émanciper.