Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue d'Oc

Maria Joana Verny

/ #260 Un exemple des actions des "anti-unitaristes". La FELCO réagit.

2012-09-29 15:33

"éviter l'écrasement des belles langues ancestrales des pays d'oc par l'une d'entre elles, l'occitan languedocien", C'est ce qu'écrit, entre autres, le député des Hautes Alpes, Joël Giraud, au Président de la République ! Rien que ça ! Et voici comment le couleitieu Prouvènço , présente sur son site l'initiative du député : "Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, agit contre l’hégémonie occitane" (http://www.collectifprovence.com/spip.php?article690). Cela en dit long sur l'origine de cette initiative...

La FELCO a aussitôt réagi et écrit au député une lettre que nous rendons publique : http://www.felco-creo.org/mdoc/docs/t_doc_2_20120929143047.pdf. Peut-être serait-il intéressant que les amis des Hautes-Alpes fassent entendre à leur député qu'il a reçu des informations... discutables et que sur la question des langues régionales, de leur prise en compte dans la Loi d'Orientation pour l'Ecole, dans les projets généraux du gouvernement, de l'Assemblée Nationale, du Sénat, des collectivités territoriales, il y a d'autres urgences que de démolir ce qui a été construit.
C'est le sens de la lettre adressée à Monsieur Giraud par son compatriote Philippe Martel (originaire de Barcelonnette), et président de la FELCO :


Monsieur le Député,


J’ai pris connaissance avec une certaine surprise de la lettre que vous avez adressée le 17 septembre au Président de la République, concernant, je cite « l’écrasement des belles langues ancestrales des pays d’oc par l’une d’entre elles, le languedocien-occitan ».
Pourquoi suis-je si surpris ?

En tant que président d’une association professionnelle d’enseignants de langue d’oc (dans toutes ses variétés, des Alpes aux Pyrénées, selon la belle formule de Frédéric Mistral), je reçois des informations sur la situation dans l’académie d’Aix. Ces informations ne concernent pas l’éventualité de l’extinction du provençal ou de l’alpin sous les coups du « languedocien », mais les inadmissibles sabotages dont l’enseignement de notre langue est l’objet de la part de certains chefs d’établissement :

- refus d’informer les élèves de la possibilité de choisir l’occitan en option ou en LV2 ou 3.
- quand on a condescendu à fournir cette information, refus d’attribuer à l’occitan des horaires convenables (c’est à dire pas entre 12 et 14 heures, ou après 17 heures).
Voilà les vrais problèmes que rencontrent nos jeunes collègues.
Ce sont des conditions de travail particulièrement dures, qui viennent aggraver encore des situations personnelles déjà compliquées : que ce soit dans les Alpes de Haute-Provence, les Alpes Maritimes ou les Hautes-Alpes, certains d’entre eux viennent de régions méridionales éloignées.
Le fait que depuis plusieurs années, pour des raisons que nous ignorons, il n’y ait plus eu de candidats locaux présentés et reçus au CAPES d’occitan-Langue d’oc signifie que le recteur en est réduit à demander à d’autres académies des enseignants d’occitan pour satisfaire les besoins qu’il a fait remonter au ministère.

Ce qui, soit dit en passant, affaiblit encore, dans les académies ainsi sollicitées, un potentiel d’enseignement déjà attaqué par la baisse des recrutements depuis dix ans.

Ces jeunes enseignants ainsi envoyés à l’est du Rhône font l’effort de se perfectionner dans les variantes provençale niçarde et alpine en usage dans les zones où ils sont affectés.

Certains d’entre eux étant d’anciens étudiants de Montpellier, je les connais, j’ai conservé le contact avec eux, et je peux témoigner de la réalité et de l’intensité de ces efforts. Vous comprendrez donc à quel point l’accusation de vouloir « anéantir » le provençal, pas moins, est ici à la fois absurde et insultante pour ces jeunes collègues.


Par ailleurs, et pour aller au fond de la question, les mots, me semble-t-il, ont un sens, ce à quoi ceux qui ont cru bon de vous alerter auraient dû penser davantage avant de vous les suggérer : « écrasement », « anéantir », cela impliquerait des opérations d’une rare violence visant à éradiquer le provençal. Par exemple, que sais-je ? un déferlement de blindés languedociens sur Cavaillon et Forcalquier, et des troupes au sol menaçant de leurs armes les derniers locuteurs du varois pour les contraindre à conjuguer le verbe « être » à la façon de Capdenac.

Vous voyez bien qu’on est loin de telles horreurs, dans la vraie vie.

Il n’est pas impossible que certains militants de la langue d’oc rêvent de diffuser une forme unique et monolithique de l’occitan, sur le modèle du français standard qu’ils ont appris à l’école, et à propos duquel ils n’ont pas assez réfléchi.

Le problème c’est que pour diffuser une langue de ce type, il faut un Etat, un système scolaire efficace, et quelques siècles. Je ne pense pas que la cause de l’occitan unifié puisse bénéficier de tels soutiens dans un avenir proche.


Par contre, ce qui existe bel et bien en région PACA, c’est la volonté de certains d’imposer partout une seule forme de « provençal », y compris dans des zones où la forme d’occitan pratiquée localement n’est pas provençale.

Je crois être assez bien placé pour en parler : la forme d’occitan que je pratique est le parler de Barcelonnette, proche parent de ceux pratiqués dans votre département. Il s’agit de parlers vivaro-alpins présentant avec le provençal des différences profondes et anciennes. Ils n’ont d’autre lien avec lui que celui qu’ils partagent ensemble avec tous les parlers d’oc, de la Gascogne à Nice et à Limoges, dans le cadre du continuum occitan, un et divers.

C’est ce parler alpin barcelonais que j’utilise dans mes cours à Montpellier avec mes étudiants, qui me répondent dans leur propre variété, sans drame ni larmes ni contrainte de quelque sorte que ce soit. Vous comprendrez dès lors à quel point l’idée que les cruels occitanistes puissent vouloir imposer un volapük quelconque partout constitue pour moi aussi une véritable insulte. Sentiment renforcé par le fait que certains de ceux qui colportent cette idée me connaissent, et savent parfaitement quelle langue je parle.


Pour parler clair, Monsieur le député, je crois qu’en l’occurrence votre bonne foi a été surprise.

Je le répète, le problème qui se pose à notre langue, ce n’est pas le danger de voir ses formes régionales dévorées par une norme artificielle. C’est la place dérisoire que l’Education Nationale lui réserve dans les établissements de nos régions.

En 2007, vous aviez posé au Ministre de l’époque (qui ne vous avait d’ailleurs pas donné de réponse digne de ce nom) une question sur l’absence d’une vraie politique de recrutement pour l’enseignement de l’occitan, terme générique que vous n’aviez alors eu aucun mal à employer.
Aujourd’hui comme hier, malheureusement, cette question, la seule qui compte, est toujours d’actualité.

Je me permets donc de vous demander d’intervenir auprès du Président et du Gouvernement pour relayer les demandes qui sont celles de tous les vrais amis des langues de France :

la fin des discriminations dont ces langues sont victimes de la part de certains décideurs de terrain subalternes.
la mise en débat, enfin, d’un texte de loi ambitieux visant à donner à ces langues un vrai statut dans l’école de la République.
une réforme du texte constitutionnel introduisant la référence aux langues de France, associées au français langue commune de la République, dans l’article 2.
la ratification de la Charte européenne des langues moins répandues, ce qui, au passage, constitue d’ailleurs une des promesses de campagne du Président.

Pour ce qui concerne plus précisément la région PACA et les académies d’Aix et de Nice, l’urgence est la signature d’une convention entre la Région et l’Etat, en conformité avec la loi de 2005, permettant, en synergie entre Etat et Région, un vrai développement concerté de l’enseignement de la langue d’oc.


Ce sont là, Monsieur la député, les vraies urgences. Tout ce qui peut détourner votre attention de ces urgences, toute tentative, de quelque lobby qu’elle émane, visant à diviser les défenseurs de notre langue, ne peut que nuire à la cause de cette langue à laquelle votre lettre du 17 prouve que vous êtes profondément attaché, et faire, consciemment ou non, le jeu de ses véritables ennemis.
Veuillez agréer, Monsieur le Député et cher compatriote, l’expression de mes sentiments les meilleurs.