Pour une UQAM laïque

Francis Dupuis-Déri

/ #23 Re: Re: Offres d'emploi à l'UQAM (après l'adoption de la loi sur la laïcité)

2013-12-19 19:14

#13: Dominique Garand - Re: Offres d'emploi à l'UQAM (après l'adoption de la loi sur la laïcité)

Je ne sais pas si mon premier commentaire relevait de la sophistique. J'essayais surtout de rendre visible l'effet concret de l'adoption de la Charte et de son application à l'Université, d'où ma reformulation (en partie ironique, en partie «sérieuse») de la mention qui accompagne les offres d'emploi pour professeur-e-s à l'UQAM, et qui devrait se lire comme suit, une fois la Charte adoptée : «L’Université du Québec à Montréal souscrit à un programme d’accès à l’égalité en emploi SEULEMENT ENVERS LES PERSONNES QUI NE PORTENT PAS DE SIGNES RELIGIEUX, LES AUTRES N'AYANT TOUT SIMPLEMENT PAS LE DROIT A UN EMPLOI A L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC A MONTRÉAL. De ce fait, elle invite les femmes QUI NE PORTENT PAS DE VOILE, les autochtones QUI NE PORTENT PAS DE SIGNES ÉVOQUANT LEURS VALEURS SPIRITUELLES, etc., etc., etc.».

Bref, cela évoque une phrase de George Orwell, dans «La ferme des animaux», voulant que «Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres».

Quant à la comparaison de Dominique Garand avec la langue d'enseignement, est-ce bien approprié ? Je crois évidemment que si j'enseigne en latin, en allemand ou en yiddish, l'UQAM ne peut pas m'embaucher, car c'est la langue d'usage au travail et l'enseigenement passe par l'utilisation d'une langue commune. Mais l'UQAM me permet (heureusement !) de publier en anglais, ou dans toutes autres langues de mon choix (si quelqu'un veut bien accepter de me publier...).

Quant à la neutralité, j'aimerais préciser trois choses :

1) Quand un gouvernement commence à décider quelles opinions ou croyances justifient une règle formelle d'exclusion d'une embauche à l'Université, je me méfie grandement (sans compter que cela rappelle de très sombres souvenirs — même si vous me direz que ce n'est pas du tout la même chose aujourd'hui... — quant à l'histoire des universités en Occident : exclusion des femmes, exclusions des Juifs, exclusion des Afro-américain-e-s, exclusion des communistes, etc.). Il y a déjà plusieurs dispositifs informels de discrimination et d'exclusion à l'embauche (selon nos préjugés, nos préférences théoriques, méthodologiques, etc.), il n'est pas nécessaire de demander au gouvernement de nous en imposer d'autres...

2) Je ne sais pas en quoi nos croyances religieuses affectent notre enseignement en chimie, par exemple, ou dans certaines autres disciplines, mais je crois que dans les sciences humaines et sociales, et même en art et lettres, plusieurs collègues à l'UQAM ne se gênent pas pour exprimer leurs opinions publiquement (dans les médias, entre autres). Leur engagement politique et social est souvent reconnu et même valorisé (nous avons des collègues ou des chargé-e-s de cours qui ont été ministres, député-e-s ou candidat-e-s lors d'élections, chefs syndicalistes [oui, oui], militant-e-s pour la paix, etc.). Vous me direz que ces engagements se prennent hors de l'université, mais pas de naïveté ici : leurs «croyances» sociales et politiques sont souvent connues à la fois de la direction, des collègues et des étudiantes et étudiants. Faudrait-il leur demander de se garder d'exprimer leurs opinions, jusqu'à leur retraite, pour que l'on ne sache pas qu'ils/elles en ont. Ce n'est pas tant nos croyances et nos opinions qui importent ici, mais la rigueur avec laquelle nous enseignons/menons nos recherches : croire en un ou des dieux, ou non, ou participer d'une mouvance politique ou non n'empêche pas, a priori, d'enseigner ou de mener de recherches de manière rigoureuse et systématique.

3) Finalement, en science politique, nous avons un collègue qui porte un signe religieux ostentatoire : je déplore que cette proposition de Charte le stigmatise. Quant aux femmes musulmanes voilées (car, entendons-nous : c'est bien d'elles qu'il s'agit, ici), je trouve déplorable (pour rester poli) que le gouvernement, avec son projet de Charte, parvienne à nous faire croire qu'elles représentent une menace pour nos institutions et nos valeurs, voire pour la civilisation occidentale.

Je comprends évidemment l'importance de la référence à l'histoire récente du Québec, quand vous rappelez au sujet de la laïcité que «le Québec l'a déjà imposé aux enseignants catholiques et protestants qui peuplaient le système d'éducation jusque dans les années 60». Comme moi, qui évoquait de douloureux souvenirs au sujet de l'histoire des exclusions dans les Universités en Occident (des femmes, des Juifs, des communistes, etc.), il faut admettre je crois que la situation d'aujourd'hui ne se compare en rien avec la situation des années 1960. L'Église catholique était alors hégémonique et s'en émanciper était important (je suis athée, après tout!). Mais à moins que j'ai raté quelque chose dans les dernières semaines en raison de mes préoccupations liées à la fin de session, les femmes musulmanes voilées ne représentent pas un bloc hégémonique au Québec, et il n'y a en fait aucun risque qu'elles le deviennent au fil du prochain siècle (et même plus tard...). Je ne sais pas si cette comparaison entre la puissance de l'Église catholique dans les années 1960 relève de la sophistique, mais je crois surtout qu'elle n'est pas recevable dans le contexte actuel.

Fait curieux au sujet de ces fameuses «femmes voilées» : en Afghanistan, on les présente comme les victimes ultimes du patriarcat musulman que «nos» soldats doivent libérer/émanciper; au Québec, elles sont présentées comme la menace ultime à notre civilisation qu'il faut exlure de nos institutions. Tout cela n'est pas sérieux. Il y a environ 2% de membres des minorités visibles dans la fonction publique au Québec, et de ce nombre, combien de femmes musulmanes voilées ? 0,5% ? Sans doute moins... Et combien à l'UQAM ? Et nous voilà à nous déchirer entre «nous» au sujet de ce «problème». Pour ma part, je crois que le problème, ce n'est pas qu'il y en ait trop, mais qu'il n'y en a pas assez.

Et considérant l'inquiétude (ou la peur ? ou la méfiance? ou la haine?) que ces «femmes voilées» semblent inspirer à tant de collègues dans notre université, rassurez-vous : on peut faire le pari qu'avec ou sans Charte, et malgré une politique d'égalité à l'emploi, une candidate musulmane portant le voile a — et aura — bien peu de chances d'être embauchée lors d'une prochaine ouverture de poste.....