Lettre ouverte aux dirigeant-e-s du Parti du mouvement Ennahdha

Des Tunisiens et Tunisiennes à l’étranger demandent à Ennahdha de cesser d’entretenir l’ambigüité et de clarifier publiquement sa position concernant les salafistes.

Mesdames, Messieurs,

Nous, Tunisien(ne)s résidant à l’étranger – militant(e)s associatif(ve)s, acteurs et actrices de terrain au sein de l’immigration, intellectuel(le)s –, portons à votre connaissance cette lettre ouverte, et attirons votre attention sur les préoccupations qui sont les nôtres.

La Tunisie est aujourd’hui à la croisée des chemins, et les Tunisien(ne)s vont devoir choisir le destin qui sera le leur et qui engage celui des générations futures. La révolution du 17 Décembre - 14 Janvier a clairement exprimé les aspirations profondes de la jeunesse, des femmes, des travailleurs : liberté, dignité, travail, justice sociale, égalité de droit entre les hommes et les femmes, entre les catégories sociales et entre les régions.

Le message des Tunisien(ne)s affirmait était tout aussi net : ils n’acceptaient plus de vivre avec cette crainte permanente de l’oppression et de la répression brutale, qui a été imposée durant plus de cinq décennies.

Ces aspirations doivent désormais trouver leur inscription dans la nouvelle Constitution : c’est le sens des élections qui se sont déroulées le 23 octobre 2011, et qui ont donné la légitimité aux élu(e)s de l’Assemblée nationale constituante pour accomplir cette mission. Cette légitimité ne saurait, donc, être en déphasage ou en contradiction avec les aspirations profondes exprimées durant le soulèvement révolutionnaire – des aspirations pour lesquelles des centaines de Tunisien(n)es ont donné leurs vies.

Ces élections ont été, certes un moment démocratique d'importance, mais seulement un moment du processus de transition vers la démocratie et la liberté. Oublier cela reviendrait à s’en éloigner. Et vous le savez très bien – du moins, faut-il l’espérer.

Nous avons pris acte de vos déclarations, répétées, que votre mouvement était un mouvement politique civil ; que vous étiez respectueux des libertés, des droits humains et, bien sûr, de la démocratie ; que vous agissez pour donner au pays une Constitution et un régime politique civils. Cette conception du « vivre ensemble » est partagée par l’immense majorité de notre peuple, et par la plupart des mouvements politiques et des protagonistes de la société civile. Elle est même l'un des fondements de notre consensus national. Et vous le savez très bien.

Or nous sommes – vous êtes – témoins, depuis des mois maintenant, d’une dérive pour le moins inquiétante, voire d’un climat quasi de terreur, qui est en contradiction avec cette conception. Cette dérive, qui se réclame ouvertement des diverses mouvances salafistes voire jihadistes, cherche à imposer au pays une autre orientation et, qui plus est, avec des méthodes de plus en plus violentes, étrangères à notre culture et à nos traditions politiques – étrangères surtout au regard du projet de société qu’attend la grande majorité du pays, après le soulèvement révolutionnaire, tant de la part des responsables gouvernementaux que, plus largement, de son élite. Nous ne sommes évidemment pas contre le fait et le droit de manifester tant que cela reste dans le cadre de l’action politique, pacifique, et dans le respect de la loi.

Le silence assourdissant des responsables de votre mouvement face à cette dérive et à ce climat nous inquiète à plus d’un titre. Les journalistes, les intellectuels, les artistes, les syndicalistes, les femmes… sont de plus en plus, au vu et au su de tous, la cible d’actes inadmissibles. Pire : alors que des journalistes sont poursuivis, voire incarcérés, pour leurs écrits, les auteurs de ces actes violents n’ont, à aucun moment, été inquiétés. Si les autorités invoquent – à tort, selon nous – l’indépendance de la justice pour justifier leur inaction, en revanche, nous ne comprenons pas le silence des responsables du mouvement Ennahdha devant ces exactions.

De même, nous semble inquiétante la tournure qu'ont pris les derniers évènements où de nombreuses associations islamiques, aux côtés de groupes salafistes, appellent ouvertement à des manifestations de rue pour exiger (pour imposer ?) que la charia soit inscrite comme la source principale voire unique de la nouvelle Constitution. Or, cette réclamation n'est le fait que d'une minorité de Tunisien(ne)s, et personne n’a intérêt à envenimer encore plus le climat actuel. Qui plus est, elle contredit la position officielle du mouvement Ennadha, qui a toujours affirmé son choix d’un état civil. D’où notre incompréhension de votre silence.

Pour notre part, nous pensons que ce silence, s’il vient à se poursuivre, risque alors de signifier une véritable complicité avec ceux qui préconisent des pratiques violentes, voire une duplicité de votre discours, entretenant évidemment encore plus ce climat délétère et cela ne peut qu’engendrer toujours plus de dangers pour le pays. Et vous le savez très bien !

Nous, Tunisien(ne)s résidant à l’étranger, qui avons œuvré et agi, par le passé, contre l’ancien régime, pour le respect des droits humains et pour une Tunisie démocratique et libre, vous demandons en tant que responsables de clarifier et de réaffirmer publiquement votre position concernant toutes ces questions.

Paris Le 18 Mars 2012

Premiers Signataires :

  • Abdessamad Hichem, historien
  • Abichou Khaled, formateur / militant associatif
  • Affes Hafedh, enseignant / militant associatif
  • Allal Mourad, militant associatif
  • Arfaoui Rabeh, militant associatif
  • Baaboura Noureddine, militant associatif
  • Bardi Houcine, avocat, défenseur des Droits Humains
  • Belhassen Souhayr, militante pour la défense des droits humains
  • Benhenda Mohamed, militant associatif Genève
  • Benhiba Tarek, militant associatif
  • Ben Said Mohamed, médecin / défenseur des droits humains
  • Bessis Sophie, économiste / défenseur des droits humains
  • Bhar Mohamed, musicien
  • Bouaziziz Abderrazek, militant associatif
  • Chargui Jamel, médecin
  • Cherbib Mouhieddine, défenseur des droits humains
  • Cherni Amor, philosophe
  • Dridi Mohsen, militant associatif
  • Ellala Mohamed Lakhdhar, militant associatif
  • Elloumi Chedly:, artiste sculpteur / militant associatif
  • Faouel Raoudha, militante associative
  • Ferjani Mohamed Cherif, professeur Lyon 2
  • Ghadhoumi Mrad, militant associatif
  • Ghali Kamel, poète
  • Hadriche Najet, avocate
  • Hamrouni Mohamed, militant associatif
  • Hmida Khaled, médecin / défenseur des droits humains
  • Jalloul Nacer, militant associatif et des droits humains
  • Jani Jamel, association des droits de la personne au Maghreb - Canada
  • Jilani Hédi, libraire / militant associatif
  • Kammarti Saloua, militante associative
  • Mansar Mohamed, militant associatif
  • Matri Jalel, militant associatif - Genève
  • Mizouni Najet, juriste / militante associative
  • Moez Taher, militant associatif
  • Ouezini Behija, militante associative
  • Smida Mohamed, militant associatif
  • Tlili Fethi, militant associatif
  • Yousfi Héla, sociologue / militante associative

 

رسالة مفتوحة إلى قياديي حزب حركة النهضة

نحن التونسيات و التونسيين المقيمين بالخارج من ناشطين حقوقيين و مناضلي الهجرة و مثقفين نبعث لكم بهذه الرسالة المفتوحة لأحاطتكم علما بقلقنا الشديد لما آلت إليه الأوضاع في وطننا العزيز تونس.

إن بلدنا اليوم يقف على مفترق الطرق و إن الخيار المفصلي الذي سيقوم به الشعب في الظرف الحالي يرتهن ضرورة مستقبل الأجيال القادمة. فثورة 17 ديسمبر/ 14 جانفي المجيدة عبرت بكل وضوح عن هموم و مطامح الشباب و النساء و الشغالين و العاطلين عن العمل في الحرية و الكرامة الوطنية و العدالة الاجتماعية و المساواة بين الرجال و النساء و بين الشرائح الاجتماعية و الجهات. و من الضروري اليوم ترجمة مجمل هذه الطموحات في صلب الدستور المرتقب. و هو الهدف الرئيسي الذي نظمت من أجله انتخابات 23 أكتوبر. و عليه فمن غير المقبول بتاتا أن تحيد السلطة الشرعية التي أفرزتها الانتخابات عن هذا الهدف أو أن تتعارض سياساتها مع أهداف الثورة التي ضحى من أجلها المئات من التونسيين.

فالانتخابات شكلت ، ما في ذلك شك ، محطة هامة في مسار الانتقال الديمقراطي و لكنها لا تختزله إطلاقا. و التغاضي أو تناسي هذه الحقيقة يعني ، كما تعلمون جيدا ، الزيغ عن الأهداف إياها . لذلك وجب تذكيركم بالتزاماتكم و تصريحاتكم و كذلك كتاباتكم (قبيل الثورة و خاصة خلال الحملة الانتخابية الأخيرة) التي عبرت حركتكم / حزبكم من خلالها على تشبثكم بالحريات العامة و الفردية ، بحقوق الإنسان و الديمقراطية. كذلك التزمتم مرارا و تكرارا (خلال نفس الفترة الزمنية) بضمان مدنية الدستور و النظام السياسي للدولة. و في ذلك انخراط فيما يجمع عليه الأغلبية الساحقة من أبناء و بنات تونس و حرصهم على التعايش السلمي الاجتماعي و السياسي.

غير أنه نلاحظ ، و أنتم شهود ، تعاقب الانحرافات و خطورتها المتزايدة يوما بعد آخر. فالمناخ العام ما فتئ يتسم بنوع من الإرهاب الذي يتعارض كليا مع الأهداف و التصريحات المشار إليها آنفا و التي تبعث على شديد القلق. و إن سلسلة التجاوزات و الخروقات الفاضحة (التي تقع في معظمها تحت طائلة القانون الجنائي...) ترتكب باسم السلفية و في بعض الأحيان الجهادية ، بغاية فرض رؤى دغمائية متحجرة لأقلية تلجأ إلى وسائل العنف و الترهيب الغريبة على تقاليدنا و ثقافتنا السياسية. و هي كذلك بعيدة كل البعد عن طموحات الأغلبية الكاسحة للتونسيين الذين يرغبون في إرساء أسس التعايش السلمي و التسامح وفق مبادئ التعاقد المدني الديمقراطي...

أمام هذا الاحتقان و استمرار تأزم الأوضاع فإننا نحن التونسيات و التونسيين المقيمين بالخارج نستغرب صمت مسؤولي حزب حركة النهضة في حين أن مناسبات الشجب و التنديد و المطالبة بالإجراءات العملية لوقف تدهور الأوضاع تتالت و تعاقبت : الاعتداءات الهمجية على الصحافيين و المثقفين و النقابيين و النساء و رمز السيادة الوطنية ... و الأدهى و الأمر أننا لاحظنا ككل التونسيين السرعة الفائقة التي تم بها ايقاف أحد الصحفيين و الزج به في السجن في حين أفلت من العقاب مرتكبي الجرائم الإرهابية السابق ذكرها. و إن حيرتنا و قلقنا يزدادان حينما نرى المسؤولين الحكوميين يدفعون باستقلال القضاء للتستر على ضعف أدائهم ... في حين يلتزم حزبكم (حزب حركة النهضة) الصمت الرهيب...

إن انشغالنا يزداد حدة لما نرى الجمعيات الإسلامية (القريبة من حزبكم) جنبا إلى جنب مع السلفيين يطالبون في تجمعات و مظاهرات عامة بفرض الشريعة كمصدر وحيد أو على الأقل أساسي للتشريع في الدستور المقبل. كيف لا ننشغل أو لا نستغرب من مثل هذه المغالاة التي ترعونها بسكوتكم الرسمي في حين أنها تزيد في توتير الجو العام بما يهدد تونس بالفتنة و التناحر الداخلي. أين نحن من التزاماتكم المكتوبة و الشفوية العديدة و المتكررة في الدفاع عن الطبيعة المدنية للدولة و عن السلم الاجتماعية....

إن اعتقادنا جازم في أن استمرار هذا الصمت سيؤول على أنه تواطؤ يوحي بازدواجية الخطاب و هو ما سيكون له عواقب جد وخيمة على مسار الانتقال الديمقراطي و التعايش السلمي و التسامح بين كل التونسيين و يزيد في تأزيم الأوضاع و لربما انفجارها و هو ما لا يحمد عقباه.

لذلك فنحن التونسيات و التونسيين المقيمين بالمهجر و قد ناضلنا ضد الدكتاتورية و ساهمنا من موقعنا في انتصار ثورة الحرية و الكرامة و المساواة ، نطلب منكم رسميا بإيضاح مواقفكم من كل هذه المسائل و التحديات الخطيرة و الجسام و التعبير علنيا عما إذا كنتم لا تزالون متشبثين أم لا بما سبق و أن تبنيتموه من دولة مدنية ، دستور مدني ، مساواة في الحقوق ، احترام كامل و دونما تجزئة للشرعة الدولية و لحقوق الإنسان ... الخ.