Barèmes de rémunération pour les maîtres d'oeuvres

Garchitech

/ #57 Billet doux adressé à l'UNSFA il y a cinq ans

2013-08-16 14:48


A la baisse générale d’activité due à la « crise » s’ajoute l’érosion de notre rémunération dont l’origine nous incombe directement. Il est de moins en moins rare de se voir écarté de projets parce que concurrencé par des Confrères appliquant des taux extrêmement bas qui parfois ne suffisent même pas à payer l’ensemble des frais. Récemment, pour établir un permis de construire de maison individuel, j’ai demandé 3,15% d’honoraires, alors que simultanément un Confrère proposait 1,5%. Bien sûr, avec une telle différence de taux, je n’ai pas été en mesure de lutter loyalement et ce dernier a été retenu. Ce qui m’afflige, ce n’est pas tant d’avoir été évincé, mais de constater l’effet très dévalorisant que véhicule de tels procédés vers les maîtres d’ouvrage et qui sont révélateurs de l’appréciation plutôt négative que se fait ce Confrère de l’exercice de sa profession. Alors que dans les années 80 il était communément admis un taux de rémunération de 10% pour réaliser une mission complète, bon nombre de Confrères, souvent jeunes et certainement inconscients, ou bien encore nourris, logés, blanchis chez Maman et Papa, proposent aujourd’hui 7% et quelquefois moins. Un d’entre nous consent un taux de 4,5% pour des montants de travaux d’environ 100 000 à 200 000 € ! Dans le même ordre d’idée, je ne saurai trop conseiller de visiter ce site en suivant ce lien http://www.architecte-paca.com/plan_maison_116.html. C’est tout simplement sidérant. Notre prestation est réduite à un produit de super marché, et encore, de résidu de décharge publique, serait plus exact.
N’oublions pas la règlementation de plus en plus contraignante qui nous impose des études complexes, donc plus longues et plus coûteuses. N’oublions pas non plus les difficultés récurrentes à recouvrer les honoraires, juste rétribution d’une mission accomplie parfois dans la douleur. Sans oublier une exigence sur les délais qui frise parfois la démence. Et j’en passe…
Pourquoi n’arrivons-nous pas, à l’instar de bon nombre d’autres professions, à nous entendre sur une tarification plancher au-dessous de laquelle il ne serait pas envisageable de traiter une mission. Pourquoi, à l’instar de nos chers établissements financiers et de nos compagnies d’assurance, ne nous est-il pas possible d’établir un fichier répertoriant les « mauvais clients » afin d’informer et de protéger de futurs éventuels confrères de certaines indélicatesses.
Il est de notoriété publique que ce qui vaut peu n’est pas considéré. Il en va ainsi de notre profession. Nous sommes dans une société ou prédomine la valeur argent. Le critère de quantité vient se substituer confusément à la qualité. C’est un constat, certes difficile à admettre pour les doux rêveurs de grands projets bien formatés par l’Ecole que nous sommes, mais avec lequel il faut composer. Si nous arrivions à solutionner ces deux points essentiels, la profession redeviendrait probablement plus crédible et nous pourrions alors envisager de penser l’œuvre plus sereinement, d’être moins inféodé aux maîtres d’ouvrage et de tendre vers plus de qualité.
La grandiloquence des articles relatant les projets phares de nos Stars du coup de crayon, c’est bien. Cela est-il représentatif du quotidien ? Je ne le crois pas. L’architecture commence là où je suis, je ne vis pas au pied de l’Arche de la défense, ni de la tour CMACGM, ni de je ne sais quel monument classé. N’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt des petits, des sans grades, des Architectes de proximité, qui au mieux se débattent au quotidien pour tenter de produire des « petits » projets de qualité et au pire essaient tout juste de se nourrir. Ces derniers confrères dans la tourmente ne manquent pas, j’en connais malheureusement. Est-il normal que nous soyons abreuvés d’informations pour nous former à exercer des professions prétendues parallèles à la notre, alors que nombre de pseudo « architectes » scribouillards non diplômés, souvent planqués dans nos administrations et de surcroît payés par nos contributions, occupent en toute impunité certaines places qui devraient nous revenir ? Ceux là même qui trouvent des traîtres à la profession pour échanger complaisamment leur signature, lorsqu’elle est requise, contre monnaie sonnante et trébuchante. Comment accepter qu’il y ait toujours des seuils au-dessous duquel le recours à l’Architecte n’est pas obligatoire et que nos paysages urbanisés, constitués majoritairement par un amas chaotique de constructions médiocres ayant bénéficié de ces dispositions, continuent de s’étendre telle une pandémie, un cancer ? Notamment, ayons à l’esprit et n’est-il pas grotesque que ces seuils soient de 800 m2, pour les constructions à destination agricole, et 2000 m2 pour les serres ! Il est difficilement défendable que l’impact de telles surfaces construites dans nos campagnes, puisse passer inaperçu.
Je suis malheureux lorsque s’offre à mon regard les abords de l’étang de Berre, les zones de Plan de Campagne, de Gémenos, de La Valentine et d’une manière générale tout ce qui entoure nos grands axes de circulation. A moins de rechercher la nature sauvage, c’est dire qu’il reste bien peu de choses à contempler sans avoir la nausée. Il est facile de comprendre que d’un point de vue électoral et économique, il plus que nécessaire et intéressant de satisfaire les Paysans, les Industriels, les Promoteurs et la Grande distribution. Si nous sommes ce dont nous nous nourrissons, ce que nous faisons et ce que nous produisons, alors il est grand temps de s’inquiéter. Comme nous avons pollué d’une manière invisible l’air que nous respirons et notre alimentation, nous avons aussi laissé polluer nos paysages. Notre profession, comme le reste, succombe au consumérisme.
A l’image des petits commerçants de proximité nous sommes très probablement appelés à disparaître devant l’expansion dévastatrice des super et hyper marchés que sont les bureaux d’études techniques qui obtiennent de plus en plus de missions de maîtrise d’œuvre et quémandent ensuite nos signatures, juste pour le dossier de permis de construire. J’ai déjà été moi-même sollicité pour ce genre de prestation.
Aussi quel intérêt y-a-t-il à porter aux nues et à défendre un système qui nourri grassement nos Stars de l’Archi déjà connues dans les milieux « bling bling » branchés ? Serait-ce de satisfaire ce besoin obscur d’idolâtrer le Maître ? Ce serait-ce de caresser le doux espoir d’accéder, en les courtisant, à leur notoriété ? L’intention très louable que j’espère y voir est semble-t-il de promouvoir l’Architecture avec un grand « A ». Mais à entendre les commentaires réprobateurs de la majorité des personnes de mon entourage avec qui je dialogue sur le sujet, et qui ont pourtant majoritairement reçu un niveau de culture au-dessus de la moyenne, je doute que le message atteigne son but. « L’Architecture contemporaine, les grandes envolées lyriques, c’est très beau, mais chez les autres et loin de chez soi et puis ce n’est pas le moindre des maux, c’est coûteux ». Le « Cigaloun » est encore un produit phare qui a de beaux jours devant lui. Les constructeurs de maisons de M…. et consorts ne sont pas prêts de mettre la clef sous le paillasson, défendus qu’ils sont par les élus de tous poils…en revanche pour nous le temps est compté et comme il est dit dans le film « La haine », « jusque là tout va bien », alors continuons comme si de rien n’était.
Pour résumer, je reproche aussi bien à l’UNSFA qu’à l’Ordre des Architectes de ne s’intéresser qu’aux grandes causes en délaissant le menu fretin des marchés mineurs (maison individuelle, réhabilitation, rénovation, etc…) tout en s’efforçant de rassembler, pour mener les combats, les forces vives de base, ceux qui ont du temps donc pas ou peu de projets. Je me souviens en avoir fait amèrement les frais lors d’une manifestation, en 1982. Mes employeurs Architectes de l’époque m’avaient fortement conseillé d’y participer pendant qu’eux étaient restés douillettement au chaud dans leur agence, trop soucieux de ne pas perdre la moindre miette d’honoraires. Loin d’être un phénomène isolé, j’avais d’ailleurs pu remarquer que très très peu de représentants de grands cabinets Marseillais étaient présents ce jour là. Durant la chasse à courre, il y a les suiveurs et les veneurs qui, pour ces derniers, bouffent à s’en faire péter la panse. Le monde de l’Architecture c’est quasiment pareil.
Que dire des concours pour lesquels il faut lister les moyens matériels, humains, financiers et des références d’ouvrages similaires à n’en plus finir pour avoir simplement le droit d’y participer. Lorsque l’on songe à leur vocation première qui est de donner une chance équitable aux débutants, c’est tout bonnement risible. Le profane qui a envie de s’adonner à ce genre de sport n’a pas d’autre choix alors que de se prostituer chez un Architecte déjà référencé. Ce dernier pourra, en échange de sa carte de visite, concourir sans frais déboursé. Elle n’est pas belle la vie ? ! Ne parlons pas, mais surtout pas, une fois le premier obstacle franchi, des conditions et critères de choix du lauréat… nous naviguons allègrement entre le pastis Marseillais, la camora Sicilienne et le clientélisme Corsé. A bon entendeur, salut !
Depuis que j’exerce la profession, soit presque 30 ans, je ne cesse d’observer, avec amertume, une dégradation continue de nos conditions de travail.
Cependant je me réjouis, je peux encore vous écrire via mon ordinateur, il fait 21° chez moi et -3° dehors, ce soir je dormirai dans un lit et je suis encore vivant !